Qu'il Est Formidable d'Aimer

On y est tous passé. Les mains croisées sous nos ventres, la mine réjouie, presque totalement convaincus, nous nous sommes entendus clamer ces paroles simples de joie, de félicité, d’amour pour oublier juste un instant, entre deux discours du père Jé Lafoix, le monde abrupt qui nous entoure. Nous avons tous fini les yeux humides, tournés vers le sol, remplis d’émotion de ces serments, de ces promesses qui nous faisaient entrapercevoir, pour un instant, un avenir tout en couleurs, rempli d’amour et d’eau fraîche.

Mais maintenant, à plus de 40 balais, quand j’entends cette chanson lors d’un quelconque événement, je peine à retenir mon hilarité. Car instantanément c’est celle-ci qui me vient en tête, va savoir pourquoi : 

Passage audio du cultissime film français « la vie est un long fleuve tranquille » dont je te mets un extrait vidéo après du texte parce qu’on est quand même là pour rigoler un peu.

 

Oui, Jésus, reviens…Ca devient urgent.

 

Non. Il ne doit pas être formidable d’aimer comme tu dis.

Car le Monde n’a pas été créé dans les nuances rose bonbon que tes prêcheurs nous vantent si bien dans tes bicoques à toits pointus. Les discours d’une époque bien trop éloignée des vicissitudes de nos sociétés ont fait fuir tes ouailles préférant dorénavant confier leurs états d’âmes à l’ami Facebook.

Crimes commis par avidité, meurtres gratuits, violences de toutes natures, visant parfois les plus fragiles, rythment nos vies. Pas une seule journée se passe sans que notre foi en « l’amour de son prochain » ne soit altérée par la cruauté de l’un ou de l’autre, par la connerie humaine en orbite dans la quatrième dimension.

Une majeure partie de tes sujets en ont fait une banalité d’ailleurs, ils ont baissé les bras, largué le bateau pour se concentrer sur leur propre destinée. Peu importe vraiment ce qui arrive au voisin, du moment que tout va bien pour chacun d’eux. De temps en temps, la presse nous aide un peu à émettre quelques larmes d’empathie. Toujours heureuse de nous permettre d’y voir plus clair, en toute objectivité, elle nous balance régulièrement des faits divers à en faire chialer la mère Thatcher.

 

Qu’il est formidable d’aimer…

 

Parfois, on se lèverait le matin, presque en y croyant à nouveau. Mais alors tu es en train d’engloutir à la six-quatre-deux, ton sandwich OMG, assis sur le banc en pierre face à la porte de ta boîte, ton smartphone t’avertit qu’un gus a descendu 20 gosses dans une école du Connecticut. La journée avait pourtant bien commencé, mais c’est la mine triste et les épaules basses que tu repars trimer, sans comprendre ce qui peut bien motiver ce type de comportements d’humains.

Est-ce la faute du directeur de l’école ? Est-ce la faute du président des USA ? Est-ce la faute des parents du type qui les a descendus froidement avant de se foutre la balle dans le crâne ? Le mec était-il fou ? Mentalement perturbé ? Autiste ? Inadapté socialement comme on dit ?

Est-ce dû à la vente publique d’armes sur le net ?

Est-ce dû aux jeux vidéo aux sombres et violentes histoires de combat ?

Parce que tu te doutes bien qu’il faut un responsable et un mobile. Le « pourquoi » et le « à cause de qui ». Forcément…

Je suis adepte de jeux vidéo de combat mais je n’ai jamais eu envie de descendre personne dans la vraie vie. Ou peut-être ma mère, éventuellement une ou deux fois, pas plus…

Ce n’est pas Olivier MAUCO, chercheur au CNRS et spécialiste des rapports entre jeu vidéo et société qui dira le contraire. Le rapprochement entre les tueries ou les crimes et les jeux vidéo sont pour lui un stéréotype qui remonte aux années 90 au moment où la violence est un argument de vente. Il est facile à cette époque, pour les gens qui ne jouent pas, d’y percevoir les mises en scène au premier degré, de s’en offusquer et de passer à côté de ce qu’est le jeu réellement.

Face à l’incompréhension, à la recherche de réponses à des questions, qui, malheureusement, n’en ont pas, on aurait vite fait à restreindre la liberté de la majorité de la population : supprimer les jeux vidéo pour éviter les tueries, interdire l’accès aux réseaux sociaux pour les gosses qui se lynchent entre eux à l’école. Surveiller nos connexions Internet. Interdire. Sanctionner. Punir. Pour que tout le monde reste dans le rang.

Ce serait évidemment se leurrer. Ce serait considérer que les Humains sont des machines simples, binaires. Or rien n’est plus complexe qu’un être humain.

Tout le monde sait pertinemment qu’interdire à tour de bras, c’est donner encore plus de motivation à transgresser les règles.

Éduquer, interdire légitimement, c’est finalement beaucoup plus difficile.

 

Tiens, un autre événement pour illustrer :

Jack* et Helen* ont tout prévu en ce soir du vendredi 20 juillet. Il a quitté tôt sa firme pour une fois et elle a réussi à faire garder leurs trois canailles de gamins par sa sœur. Helen s’est même rachetée une robe pour l’occasion vu que son cul rentre plus dans la majorité de sa garde-robe chic. Ils décident de se faire une soirée en amoureux, bien trop rare, une manière de donner une nouvelle chance à leur sexualité aussi morne qu’une journée de Toussaint en Normandie. Et, tu peux me croire sur parole, c’est moche à voir…

Pour ça, rien de tel qu’un début de soirée au cinoche en compagnie de ce bon vieux Batman qui a les rotules qui craquent. Le héros fatigue, nous aussi d’ailleurs à grands coups de suites dans la collerette, on finit par se lasser…Sera-t-il à la hauteur de l’engouement médiatique que son statut de super-héros suscite ?

Ils n’auront même pas le temps de le vérifier que James Holmes fait son entrée dans la salle obscure, son AR-15 semi-automatique au poing, abat 12 personnes et en blesse 58 autres…Helen ne saura jamais si Jack avait prévu de lui jouer la scène de la brouette irlandaise à la sortie de la pizzéria. Un beau gâchis...

Mais alors, on ne va quand même pas supprimer les films de super-héros parce qu’un lot de cinglés perd la boule un de ces quatre matins non ? Le mec s’est pris pour le Joker. Oui et ?? Tu crois que si Batman n’avait pas existé, il n’aurait pas trouvé autre chose pour abattre froidement 12 personnes, venues se détendre une veille de week-end dans un cinéma ?

 

Mais tu vas me dire : « Oui, mais, ça c’est chez les Ricains…sont fous ces gens-là…ils n’ont pas le sens de la mesure »

Non, nous aussi en France, on a nos tueurs en masse. Regarde Mohamed Merah à Toulouse. Lui aussi a perdu les pédales. Bon, il se serait appelé George Lemoine, il aurait sûrement eu le droit à un procès. Mais là, avec un nom pareil, fallait pas déconner. Il faut tout de même « nous débarrasser de cette racaille-là ». Si le Président le dit, on veut bien le croire. En plus, le gars s’attaque à une autre communauté, la communauté juive. Note bien qu’il a tout fait pour exacerber les tensions, le Mohamed...

Merah, de confession musulmane, n’a pas tué des Juifs, il a tué des êtres humains. Pour les mêmes raisons que les autres tueurs en masse, profondément les mêmes raisons je veux dire…

Enfin, ça peut servir un nom comme ça, il faut le reconnaître. On peut ainsi faire passer tous ceux qui portent des noms à consonance orientale pour de gros intégristes violents voulant nous exterminer. C’est pratique. Quand Djamel Debbouze s’est exprimé sur l’affaire (« les cités sont pleines de Mohamed Merah ») il n’a pas voulu banaliser la responsabilité du tueur, il n’a fait que rappeler que le Monde, tel qu’il est aujourd’hui favorise ce genre de comportements, en partie.

 

Certains ont tellement besoin de reconnaissance dans un Monde se moquant de toute particularité, classant en case les individus, générant des frustrations insupportables, qu’ils en sont à commettre l’irréparable dans un désespoir terrible et dans la folie. Dans une Société où tu ne te définis que par rapport à ta propre consommation, avec de moins en moins de repères et de valeurs, de plus en plus de jugements, tu passes…ou tu casses. Certains finissent par développer une haine envers les autres qui fait écho à leurs propres échecs.

Dans nos sociétés, lieux cultes du Succès avec un grand S, l’image du looser est un poids insurmontable. Alors, tu meurs, mais tu laisses ta trace dans l’Histoire. Parce que c’est ça le but. Avoir un but dans la vie, servir une cause, même si celle-ci est celle de fous. Finir connu, devenir quelqu’un, ne plus être le quidam dont tout le monde se moque éperdument. Devenir connu, quitte à être haï…peu importe. Parfois, rester vivant pour devenir le Héros du Mal, détruire en masse pour exister. Enfin.

Le Sens a quitté nos vies. Alors pourquoi s’arrêter ? De quoi s’étonner ?

  

Qu’il est formidable d’aimer…

 

Ah l’amour…L’amour de son prochain…Nous autres, êtres humains, nous avons de la ressource et de la volonté….Nous savons diriger nos combats, mobiliser nos énergies, placer notre foi en chacun de ceux qui nous entourent, prendre soin de tous ceux qui en ont besoin…

C’est ainsi que lors de la sortie de l’Iphone 5 en septembre 2012 (rigole pas, quand tu lances sur google « les évènements marquants de l’année 2012 », tu tombes dessus, faut dire il y a de quoi, c’est un putain d’évènement), des centaines de personnes font la queue pour dégoter le nouveau sésame de la communication…Sûrement parce que le n°4 était dépassé, tu penses. Comme ça, avec la 5ème génération en poche, tu es encore plus vite informé quand un timbré zigouille des innocents ou quand un ouragan défonce des milliers de km de paysages et dévaste des centaines de vies.

Tu t’informes…Attention, je n'ai pas dit, tu agis…Tu vas juste t’informer au maximum et, après verser quelques larmes, te répandre dans les polémiques inutiles, refaire le monde entre deux bières avec tes potes, y aller de ton avis sur les réseaux sociaux en quelques statuts ou tweets bien tournés, vendre ton point de vue dans quelques billets de blog…Attends, je ne critique pas, hein, on le fait à peu près tous. Moi la première…

Lors de la sortie de l’Iphone 5, et devant les images télévisées des queues de consommateurs attendant leur nouveau jouet, la Croix-Rouge twitta avec cynisme une demande de main d’œuvre :

Ce tweet de recrutement nous rappelle à nos priorités d’êtres humains et de reconsidérer la consommation. Il insiste sur l’absurdité de nos plus grandes motivations actuelles. Il rappelle le fossé entre deux mondes aujourd’hui, un monde à deux vitesses dans lequel d’un côté, on fait la queue pour un téléphone surqualifié et d’un autre, on fait la queue pour avoir à bouffer.

  

Qu’il est formidable d’aimer…

 

D’autres exemples ? Veux-tu qu’on aborde le statut des femmes dans certains pays ? La place de la femme en Inde par exemple. L’Inde est le 4ème endroit le plus dangereux pour les femmes au monde.

Les femmes appartenant à toutes classes, castes ou croyances et religions peuvent être victimes de vitriolage dans le dessein d’en faire une leçon et de les remettre à leur place. La violence domestique contre les femmes en Inde est un problème considérable : Un rapport des Nations Unies pour la Population) a affirmé que jusqu'à 70% des femmes mariées âgées de 15-49 ans en Inde sont battues ou victimes de sévices sexuels ou sous la contrainte. Dans une société où la population masculine est majoritaire, vu que les couples avortent de petites filles, le viol est monnaie-courante, la femme considérée comme une marchandise, un bien.

T’imagine, t’as osé entretenir une relation avec un homme sans être mariée ? hop ! un petit coup de produit toxique sur la goule, comme ça, ça te passera l’envie de recommencer. Au pire, tu peux doubler Freddy krueger, au mieux, tu pourras inspirer les créateurs de zombi U sur Wii-U…

Ou à la limite, on te lapide. Sois pas trop exigeante avec la sentence, quand même…En plus, tu vas être une vedette, car de plus en plus, ces exécutions sont filmées (avec les iPhones) et partagées en temps réel sur le net.

Quoi ? Tu trouves que c’est pas drôle ? Nan, t’as raison…mais tu vois si j’en rigole pas, je vais gerber mes raviolis de ce soir parce que sincèrement, je ne sais pas comment on peut en arriver là…

  

Comment au XXIe siècle, les individus masculins ou féminins peuvent-ils être si emprisonnés dans des traditions, des dogmes religieux, prenant en otage un Dieu, qui, s’il existait, ne saurait tolérer ce qui se passe réellement ?

Le pire, c’est ce que ces chevaliers de Dieu, qui paradent place St- Pierre en habits du dimanche, ne font strictement rien pour lutter contre toute cette violence.

Le Benoît, maintenant il twitte. Lui aussi préfère se répandre sur un mur virtuel plutôt que d’aller à la rencontre du Monde réel. La technique est partout, tu vas me dire, Le Vatican est aussi connecté au web et ne regarde plus que de sa fenêtre - Windows - nos Sociétés.

Toujours à la page, le pape a twitté en latin. On ne peut que se féliciter de son pas vers l’Homme moderne dans ces conditions…

Contre le « Mariage pour Tous », mais capable de tolérer des violences intra-mariage mixte dans certains pays, prêchant dans le vide à leur balcon comme des rois d’une autre époque, sans agir. Sans découvrir le monde tel qu’il est aujourd’hui, ils ont baissé les bras eux aussi. Ils nous vendent même plus l’ « amour du prochain » qui nous manque réellement aujourd’hui. Pas religieusement, mais humainement.

En discutant, en incitant les gens à réfléchir, à prendre confiance en eux, à prendre soin des autres peut-être que ces prêcheurs seraient utiles. Aujourd’hui, ils sont dépassés par les événements, à l’abri dans leurs palais.

 

Aimer son prochain, tout donner pour aimer…

 

Les crimes, les violences, les discriminations, les abus en tous genres, tout cela a toujours existé. Le Monde a toujours été violent. La différence, c’est que maintenant, tu le vis en temps réel. Une catastrophe se passe dans un coin du Monde et quelques minutes plus tard tu es informé. Quel que soit l’endroit. Tu te prends de plein fouet l’horreur de la situation en vidéos, photos, déclarations, flash spéciaux, tweets, sms, mails…Paf ! En pleine tête. Tu ne peux pas y échapper. Ça n’a pas l’air comme ça, mais ça t’atteint, ça te bouffe et petit à petit tu perds la foi, la foi en L’Autre, en l’Homme. Cette foi, pourtant, il faut la léguer à nos enfants, c’est aussi important que l’environnement.

Parce que même si on a une belle planète propre mais qu’on ne continue à ne pas respecter l’Homme, il finira par disparaître quand même…

Comment peut-on changer ? Comment peut-on avancer ?

Et seulement, peut-on changer ? Peut-on avancer ?

 

Si t’as des idées pour ça, maile-moi, sms-moi, tagge-moi, facebooke-moi, twitte-moi, skype-moi…sur mon Galaxy Note II, bien plus balaise que ta saloperie d’iPhone…sans rancune, hein !

 

 

 

*personnages fictifs de la tuerie du 20 juillet 2012 à Aurora, USA