J'ai Rencontré Elvis à Las Vegas

Las Vegas. La ville la plus importante du Nevada. Plus de 580 000 habitants. 120 000 chambres d’hôtel. Plus de 37 millions de visiteurs par an. Je regarde la brochure. Les photos me font rêver. On y voit que des photos de nuit, d’enseignes lumineuses, de salle de jeux, d’hôtels. Ville d’ultra-consommation et de débauche. Idéale pour une reine de la nuit. 

 

Dans le vol New York – Las Vegas, je commande une vodka puis une 2ème. Autant se mettre dans l’ambiance tout de suite. L’alcool enivre mes cinquante kilos aussi rapidement qu’une pilule d’ecsta dont se serait goinfré, en toute hâte, Blake Fielder-Civil. Je pose ma tête contre l'épaule de mon ami. 

A l’atterrissage, nous récupérons nos valises aux barrières de sécurité. Je prends conscience de la suprématie de cette nation, présentée partout comme "la plus puissante du monde". Cette nation qui nous fait rêver avec ses super héros et ses idées de liberté, nous, pauvres européens. Des contrôleurs par dizaines, le flingue à la ceinture nous invitent à avancer. On hésite un peu, vu leur tête, on aurait presque l’impression d’être attendu comme Pablo Escobar.

Les aéroports américains ont-ils un profil de recrutement type ?

Une majorité de contrôleurs sont aussi énormes que Demis Roussos au sommet de sa carrière en 1975. Sans les robes, bien entendu. Ils semblent à l’étroit dans leur uniforme et on se demande bien comment ils pourraient se lancer efficacement à la poursuite de Pablo. Le temps qu'ils se mettent en mouvement, ce dernier aurait sûrement le temps de mettre les voiles.

Je m’avance vers un type aussi aimable qu’une hôtesse d’accueil chez Carrouf. Il commence à me fouiller, les bras éloignés du corps. J’ai l’impression d’être une dangereuse criminelle en vadrouille. Je me retiens de glousser. Je ne voudrais pas finir au poste. Un bref instant, j’imagine la scène. Moi, menottée, les mains dans le dos, assise dans le burlingue du shérif. Lui, les bras croisés, une fesse sur son bureau :

— Then Miss, why were you laughing? Why are you in Vegas? Have you used drugs ?

Mon pote me lance en biais un regard implorant. Je me pince les lèvres pour ne pas rire.

Tout à coup, alors que nos sacs sont disséqués, mon contrôleur attitré revêt un masque d’une gravité extrême et appelle d’un geste un collègue en renfort. J’ai l’impression qu'on va m’annoncer la mort du Président Bush. La perspective me fait sourire.

Leur accent nasillard me fait perdre le fil de la conversation mais je comprends que mon ordinateur portable leur pose un problème. Ils m’attirent à l’écart du flux de voyageurs et me demandent de le démarrer. Je prie pour que mon compagnon ne soit pas un terroriste recherché par le FBI, planquant ses plans dans le disque dur de ma bécane. Je ricane intérieurement mais m’exécute.

On ne rigole pas avec les ricains.

Après 45 minutes de contrôles, nous franchissons enfin les portes de la salle des arrivées. Je reste bouche-bée. Dans la salle moquettée de l’aéroport, des dizaines de machines à sous s’étalent devant nous. Une bien belle mise en jambe pour les millions de crétins de touristes qui passent les portes automatiques. Je tente une photo mais je vois illico-presto deux armoires à glace s’avancer vers moi, la main sur l’étui du flingue.

Nous ne nous attardons pas à jouer. Nous ne sommes pas venus pour ça. On nous a prévenus : il ne faut jamais commencer.

La navette nous emmène vers "la ville du péché" et dans le respect le plus strict des limitations de vitesse, nous franchissons le célèbre panneau "Welcome to fabulous Las Vegas".

Arrivés à l’hôtel Stratosphère, nous checkons à un comptoir aussi long que le catamaran d’Olivier de Kersauson. Situé dans un hall immense, l’endroit est envahi de machines à sous bruyantes et bourrées d’économies de pedzouilles croyant à la bonne fortune.

Toute la crème de l’espèce humaine est là : Les cow-boys, l’air grave, le stetson rivé sur la tête ; les blondasses décolorées, siliconées et botoxées, aux ongles aussi longs que ceux de Vampirella ; les couples d'américains moyens, en vacances dans la "ville mondiale du divertissement" ; les touristes masculins étrangers, la bedaine remplie d’hamburgers à 4 étages, une main sur le bandit manchot et l’autre main sur le cul de la pute qui les accompagne ; les groupes de chinois en extase devant cette opulence et ce potentiel de richesses pouvant bouleverser leur vie. Le tableau est complété par des sosies en tout genre : Franck Sinatra, Madonna, Michael Jackson et bien d’autres qui se proposent de vous prendre en photo moyennant finances. J’imagine la nôtre, bras dessus - bras dessous, avec Franck Sinatra, trônant au-dessus de la cheminée de ma maison. Je me marre et repousse gentiment Freddie Mercury.

Au comptoir, l’homme nous récite avec ferveur son message de bienvenue. Il nous informe qu'il y a, au sommet de la tour de l’hôtel, quatre attractions à grande sensation, si jamais l’envie nous prenait de dégueuler nos tripes à plus de 350m de haut et 80km/h. Le "Big Shot" est, nous précise-t-il, "fabulous".

On le croit sur parole.

Dans un sourire complice, il se penche vers moi et m’informe qu'au 24ème étage, je peux accéder à une piscine "spécial topless", réservée aux femmes de plus de 21 ans.

La vache !

Je mesure le privilège qui m’est accordé dans cette ville diaboliquement partagée entre puritanisme et débauche.

Mais, ce soir, d’un commun accord, fatigués par le voyage, nous décidons de rester à l’hôtel. La découverte des lieux attendra demain. La chambre est grande, le lit est immense et je m’y jette bras écartés sur le dos en souriant. Tandis que je commande nos plateaux repas, j’explore du regard notre repaire. Une multitude de brochures sont disposées en éventail. L’une d’elles attire mon attention : "Get married in Las Vegas !"

En riant, je me laisse tomber aux pieds de mon ami et lui propose l’idée, à lui, qui, aversion pour le mariage oblige, cède à cet ultime caprice. Pas de risque, ici. Pour être valable en France, le mariage doit être reconnu par le biais d’une procédure. Nous regardons alors les différents forfaits qui s’offrent à nous.

Il y en a pour tous les goûts et budgets. Le premier forfait avec "la chapelle + le prêtre + le bouquet de fleurs" ouvre le bal avec ses 250 dollars. Nous optons pour une cérémonie haut de gamme avec  "chapelle + prêtre + bouquet + robe + alliances + témoin". Pour ce dernier, on peut se payer un sosie : Elvis Presley, Franck Sinatra ou Steeve Mac Queen. » Nous retenons Elvis pour 950 dollars.

Le room-service frappe à la porte.

Il pousse une desserte à roulettes immense, comme si nous étions cinquante à dîner dans la chambre. Deux énormes cloches recouvrent deux assiettes phénoménales. Hamburgers quatre épaisseurs, frites et salade sont au menu. Nous en mangeons le tiers et regardons avec dégoût le gâchis qui en résulte. L’ensemble est tellement copieux qu'on ne peut finir, même avec la meilleure volonté du monde.

Après une nuit de repos, direction le Clark County Marriage License. Notre mariage est fixé au lendemain. A las Vegas, on ne traîne pas. On enquille. On ne laisse pas le touriste réfléchir et revenir sur sa décision. La récupération de l’accord nous fait débourser 55 dollars qui s’ajoutent au forfait choisi.

"La machine (à sous) de l’émotion" se met en branle.

Nous complétons par les visites de boutiques de robes. En bonne vendeuse, la nana me rajoute les accessoires hors forfait,  plus un smoking : 50 dollars. Il faut bien comprendre qu’à Vegas, rien n’est jamais vraiment "all inclusive".

Le mariage a lieu le lendemain soir dans la Little White Chapel à 20h. Sur la musique habituelle, nous pénétrons dans l’église toute fleurie. Je suis affublée d’une robe d’un blanc immaculé, dont l'odeur de perchloroéthylène me monte au nez. Notre sosie-témoin arrive enfin. Il s’agit bien d’Elvis, mais pas à l’époque de "Love me tender", plutôt à l’époque où l’alcool et la came sont ses ferventes groupies. Il n’échappe pas à la coutume locale et son embonpoint menace de faire exploser sa chemise blanche à clous dorés. Néanmoins, la ressemblance est sidérante et il se place à nos côtés, avec humilité, pour donner un semblant d’émotion à cette mascarade nuptiale.

Tandis qu’Elvis nous indique nos alliances, sur un coussin doré, un prêtre black commence son discours. Le plus sérieusement du monde, il demande à l’assemblée imaginaire si quelqu'un s’oppose à notre union. Elvis lui fait un signe de la main : il est d’accord. Tout va bien. Les yeux dans les yeux, retenant à peine notre fou-rire, nous échangeons nos consentements et nos alliances. Enfin, sur la musique, il prononce un solennel "I declare you united in marriage".

Unis en 17 minutes et pour 1055 dollars.

 

Les cloches résonnent dans le crépuscule. Nous sortons main dans la main, suivis d'Elvis qui nous remet le certificat de mariage du Nevada.

Tout en regagnant la voiture, je retire, hilare, cette robe ridicule, enfilée par-dessus mon jean. Le traditionnel bouquet de fleurs voltige dans les airs et vient s’écraser contre le bitume.

Je conduis à vive allure.

Viva Las Vagas !

  

 

Écrire commentaire

Commentaires: 0